Les professions réglementées du droit et du chiffre sont confrontées depuis plusieurs années à la remise en cause de leurs fondamentaux, les conséquences économiques liées à la COVID 19 accélèrent encore plus les choses et, si repenser les business models des professions réglementées, c’était finalement répondre à l’injonction de « réinventer nos métiers ».
Le business model des professions réglementées est chahuté depuis de nombreuses années. Si certains cabinets d’avocats, conseils en propriété industrielle, d’expertise comptable et commissaires aux comptes, certaines études notariales ou d’huissiers ont modifié leurs pratiques, les autres ne peuvent plus se permettre d’ignorer l’impératif de repenser leur business modèle.
Ces professions ont montré une forte résistance aux changements et certains essaient encore de maintenir coûte que coûte leurs anciens et actuels business models, même si cette résistance diffère selon les métiers.
Dérégulation de pans entiers du marché, banalisation accélérée de certains types de services, automatisation des tâches récurrentes, nouveaux concurrents, pression sur les honoraires, rareté des talents, perte de rentabilité…. Aujourd’hui, elles n’ont plus le choix, un ajustement conjoncturel ne suffira pas.
ETENDRE SES COMPETENCES
La plupart des réseaux de cabinets d’expertise comptable ou juridiques ne couvrent encore aujourd’hui qu’une fraction limitée de l’éventail de services d’accompagnement attendus par les entreprises. A l’exception des « big four », ils délivrent des conseils et des services dans leurs métiers historiques : tenir la comptabilité des entreprises pour les experts comptables, la contrôler pour les commissaires aux comptes, dire le droit et l’appliquer pour les avocats etc…. Force est de constater que ces services dit de base, ont perdu leur attractivité auprès de leurs clients. Ceux-ci attendent de leurs conseils plus et mieux, et surtout ils en veulent « pour leur argent ». Quelle que soit sa taille, plus un cabinet est dépendant de sa mission traditionnelle plus il est menacé par les nouvelles technologies (intelligence artificielle, automatisation des tâches…) et le travail collaboratif.
Il ne suffit donc plus aux professions réglementées de vendre à leurs clients leur seul savoir technique : pour les professions du droit, ce savoir, dorénavant, facilement accessible dans les divers portails d’information mis en place par les ministères (Légifrance), par les autorités réglementaires (CNIL, Autorité de la concurrence, etc…) ou au travers des legaltech fournissant nombre de modèles pour la création des entreprises, de modèles de contrats, et autres, les kits infos succession et modèles de testament etc. Les professions du chiffre sont attaquées par les fintech et les regtechs.
Les professions réglementées doivent devenir les business partenaires de leurs clients. Il leur faut passer de la simple analyse du problème, à l’analyse du problème et à la fourniture de la solution et à l’exploitation de la valeur. Ce qui implique que ces professionnels aient une solide connaissance des besoins des clients pour parfois leur proposer des solutions à des problématiques qu’ils n’ont pas toujours identifiées.
Passer du seul savoir-faire technique à la position de business partenaires implique le développement de compétences comportementales « les soft skills ». Il leur faut communiquer sur leur capacité à négocier et à offrir des solutions créatives, ce qui les fera sortir de leur zone de confort et proposer par exemple du conseil stratégique, de l’audit organisationnel, de l’ingénierie de système, de l’assistance GRH, du management interculturel, de la compliance…
Cette démarche orientée « client » contraint les professions réglementées à s’appuyer sur des équipes capables d’agilité, de s’investir, et sur lesquelles elles pourront compter à l’avenir, l’objectif sera alors d’attirer les talents, les familiariser avec les nouvelles technologies (intelligence artificielle, blockchain, innovation juridique et comptable…) qu’avec les méthodes de business développement et les outils du marketing et de les fédérer autour de projets impliquant, ceux de leurs clients, pour les garder.
De nouvelles offres de services – à forte valeur ajoutée – devront être construites. Elles réuniront alors les experts et des multi spécialistes dans les métiers du droit et/ou du chiffre.
Ainsi par exemple, les cabinets d’avocats qui sont en grande majorité des petites structures devront s’unir (entre eux) ou se rapprocher d’autres professions (l’interprofessionnalité) pour pouvoir proposer des offres complètes et investir dans les nouvelles technologies, le recrutement, le marketing…. Cette profession composée d’individualistes va devoir évoluer pour créer des structures pérennes et stables. Le statut de collaborateur (indépendant) devra sans doute évoluer également.
FAIRE DE LA REGLEMENTATION UN ATOUT
Les business models de ces professions restent fragilisés par la disparition des frontières marquées entre les différents métiers (experts-comptables, notaires, avocats, conseils en propriété industrielles…) et par de nouveaux concurrents moins légitimes sur le marché du chiffre et du droit.
Le caractère « réglementé » de ces professions, bien que contraignant (diplôme, déontologie, contrôle des instances professionnelles, formation obligatoire, assurance obligatoire …), les fait bénéficier d’un droit d’exercice exclusif (qui se réduit de plus en plus pour certaines de ces professions) et fait d’eux des tiers de confiance. La valorisation de cet atout est clé pour gagner la confiance de nouveaux clients et combattre la concurrence.
OPERER LA TRANSFORMATION DIGITALE
Il n’est pas possible de réinventer nos métiers sans opérer ou finaliser la transformation digitale de nos professions.
Les professions réglementées ont bien conscience qu’il n’est plus question de laisser de côté la transformation digitale. Impliquer ce nouvel outil dans la réinvention de leur métier ce sera soit utiliser les legaltechs comme les outils pour exécuter ces nouvelles missions et pour répondre à l’impératif de rapidité, de transparence, de travail à distance etc… attendu par les clients. Pour certains professionnels du chiffre et du droit, il s’agira d’augmenter leur périmètre d‘activité en créant eux même ces outils et fournir un service digitalisé à leurs clients.
Parallèlement à ces changements d’offres et aux créations de nouveaux services, les modes de facturations vont devoir évoluer : temps passés, forfait ou aux résultats (à l’exception des tarifs de certains actes qui sont encore réglementées : notaires et huissiers).
Certaines tâches « banalisées » pourront, grâce à l’automatisation des tâches récurrentes, être facturées au prix de marché, à l’inverse d’autres prestations devront être valorisées en tenant compte de leur valeur réelle, de leur technicité et/ou complexité et non pas en fonction du nombre d’heures passées sur ces prestations.
En conclusion, les professions réglementées doivent rentrer dans une démarche de véritable entreprenariat pour « réinventer » leurs métiers, ce qui leur permettra de financer leurs investissements (levée de fonds ou dettes) et assurer la valeur patrimoniale de leurs structures.
En ces temps de crise sanitaire, entrainant pour nos professions réglementées une baisse significative de chiffre d’affaires de l’ordre de 15 à 30%, il va falloir comme les entrepreneurs « apprendre à danser sous la pluie ».
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Article publié par l’Agefi Actifs : https://www.agefiactifs.com/droit-et-fiscalite/tribunes/repenser-les-business-models-attaques-87678