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Article publié dans “Les Echos” sur “L’arnaque aux placements : ces épargnants piégés dans l’affaire des manuscrits Artecosa”

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Loris Palumbo 5min Publications Télécharger l'article

Une nouvelle audience s’est tenue le 14 septembre 2023 devant la 31e chambre correctionnelle du tribunal de Paris (photo) concernant l’affaire Artecosa, spécialiste des manuscrits anciens. (Xavier Francolon/SIPA)

Le feuilleton judiciaire, épineux et à rallonge, de l’affaire Artecosa, spécialiste des manuscrits anciens , vient de connaître un nouveau développement. Une audience s’est tenue le 14 septembre devant la 31e chambre correctionnelle du tribunal de Paris. Elle concerne deux des protagonistes qui ont fait appel de la décision du 24 juin dernier rendu par le même tribunal et condamnant tout le système Artecosa.
Pour rappel, plus de 2.000 particuliers sont pris au piège des placements financiers d’une société souvent dépeinte comme la « petite soeur » d’Aristophil, autre dossier fleuve et à scandale dont le procès pourrait enfin avoir lieu fin 2024.
Artecosa, créée en 2008 par Luc Mazet, proposait à ses clients, via des conseillers en gestion de patrimoine ou investissements financiers, d’investir dans des oeuvres d’art de collection comme des lettres, manuscrits, documents autographes et photographies anciennes. Surtout, elle promettait de les leur racheter tout en assurant une rentabilité entre 5 et 7,5 % annuels au terme d’une période de 5 ans.
Dans sa décision du 24 juin 2022, le tribunal correctionnel de Paris a retenu la responsabilité pénale de la société Signatures, anciennement Artecosa, de ses dirigeants et d’un complice, salarié du Crédit Agricole Ile-de-France, qui avait rédigé de fausses attestations de garantie bancaire au profit d’Artecosa. En revanche, il a écarté la responsabilité de la banque en sa qualité d’employeur. Grâce à une mesure d’exécution provisoire, les victimes ne devraient pas avoir à attendre l’appel pour être indemnisées.

Mais cela reste théorique…

L’audience du 14 septembre 2023

Lors de l’audience du 14 septembre, le tribunal a entendu David Roche, le salarié du Crédit Agricole Ile-de-France, poursuivi dans cette affaire pour complicité de pratiques commerciales douteuses, ainsi que la banque elle-même. Pour mémoire, dans le jugement du 24 juin 2022, David Roche qui n’était pas présent au tribunal, a écopé d’un an d’emprisonnement assorti d’un sursis probatoire de trois ans avec l’obligation d’indemniser les parties civiles et une interdiction définitive de gérer.

Or, David Roche a justement utilisé le levier de son absence du tribunal pour faire opposition à ce jugement. Ce qui a déclenché l’audience du 14 septembre où il est venu défendre son point de vue devant le même tribunal. Apprenant l’opposition formée par David Roche, Maître Hélène Feron-Poloni, du cabinet Lecoq-Vallon & Feron-Poloni, qui défend ici les intérêts d’une vingtaine d’épargnants, a fait citer à comparaître à cette audience le Crédit Agricole Ile-de-France. L’avocate était en effet déjà à l’origine de la première citation de la banque devant la juridiction correctionnelle dans cette affaire.

« L’opposition de David Roche anéantit les dispositions du jugement du 24 juin 2022 tant à son égard qu’à celui de la banque, son employeur. Il était donc important que le Crédit Agricole Ile-de-France puisse répondre à nouveau de sa responsabilité vis-à-vis de David Roche en tant qu’employeur. »

Dans un dossier où la « procédure est baroque, compliquée et où l’on avance à petits pas, l’opposition de David Roche a tout de même eu le mérite de l’amener à expliquer au tribunal qu’il était bien le conseiller bancaire d’Artecosa et qu’il a rédigé les attestations de garantie bancaire dans l’agence de la banque durant ses heures de travail, avec les moyens mis par la banque à sa disposition, papier à en-tête, relevés de compte bancaire », relève Me Hélène Feron-Poloni.

Cette fois-ci, le tribunal devra donc rejuger le salarié de la banque en sa qualité de complice et la banque, civilement responsable de David Roche. Le jugement est attendu le 14 décembre prochain.

L’absence d’indemnisation des victimes

Bien que le jugement correctionnel de juin 2022 soit assorti de l’exécution provisoire permettant, en théorie, aux parties civiles d’obtenir une indemnisation même en cas d’appel des prévenus, rien n’a été versé à ce jour.

« A ma connaissance, et c’est profondément regrettable, aucune partie civile n’a obtenu le moindre euro », dénonce Me Loris Palumbo, avocat associé du Cabinet Spring Legal et qui défend dans cette affaire les investisseurs ayant investi les plus gros montants.

Il faut dire que la riposte a été immédiate. La décision du 24 juin a condamné le fondateur et dirigeant Luc Mazet ainsi que le directeur des achats Philippe Fontana à l’exécution provisoire de l’indemnisation des parties civiles. Or, dès le 28 juin 2022, ils demandaient son arrêt en saisissant le premier président de la Cour d’Appel.
Ainsi, Luc Mazet a fondé sa demande sur le fait que l’exécution provisoire l’exposerait à des « conséquences manifestement excessives au regard de son patrimoine et de ses revenus. » Il explique alors que « le jugement a mis à sa charge, solidairement avec MM.Fontana et Roche, une somme globale de plus de neuf millions d’euros au profit de plus de 140 parties civiles, alors que son patrimoine, qui n’est pas liquide, s’élève à 1,6 million d’euros environ, soit un sixième de la somme totale. »

Organisation d’insolvabilité ?

Selon lui, ses co-débiteurs solidaires sont insolvables ou en liquidation judiciaire, s’agissant de la société Signatures, de sorte qu’il est le seul susceptible d’être poursuivi sur son patrimoine. Il a ajouté que, contrairement à ce qui est soutenu par les défendeurs, il n’a en rien organisé son insolvabilité ou dissimulé son patrimoine puisque les différents biens dont il était propriétaire jusqu’en 2017 ont été donnés à ses enfants ou vendus avant sa citation devant le tribunal correctionnel le 26 juillet 2021.

Utilisant le même système de défense, Philippe Fontana a indiqué avoir fait l’objet d’un licenciement économique en décembre 2017 et avoir perçu des allocations-chômage jusqu’au 31 juillet 2020. Et ajouté qu’il a créé une société en 2018 mais que celle-ci a réalisé une perte en 2022 et que ses revenus de l’année 2021 sont nuls. En outre, d’après lui, son seul actif est constitué d’une maison acquise en 2015 avec son épouse, évaluée à 700.000 euros et pour laquelle il a souscrit un emprunt de 495.000 euros qu’il rembourse encore.

Des arguments que le juge n’a pas retenus dans une ordonnance prononcée le 14 décembre 2022, en déboutant Luc Mazet et Philippe Fontana de leur demande. Concernant Luc Mazet, le premier président de la Cour d’appel de Paris a notamment estimé qu’il « résulte des pièces du dossier qu’il a fait preuve d’opacité concernant l’étendue de son patrimoine, de sorte qu’il est impossible de déterminer la consistance exacte de celui-ci et, par suite, les conséquences susceptibles de résulter pour lui d’une exécution de la décision frappée d’appel. »

En outre, le juge a considéré que « la consistance exacte du patrimoine de M. Mazet est inconnue » et que « l’arrêt de l’exécution provisoire aurait pour conséquence de lui permettre de poursuivre l’organisation d’insolvabilité qu’il a déjà initiée, au détriment des parties civiles. »

Quant à Philippe Fontana, selon l’ordonnance, « à l’égard des seules parties comparantes à l’audience, [il] ne démontre pas l’existence de conséquences manifestement excessives puisqu’il ne précise pas la somme globale due à ces dernières et ne justifie pas de l’impossibilité pour lui de la régler. Si ses revenus sont modestes, il est en effet propriétaire avec son épouse d’une maison évaluée à 700.000 euros et ne démontre pas être dans l’impossibilité de recourir à l’emprunt, comme il l’a déjà fait, pour régler, ne serait-ce que partiellement, les sommes dues aux victimes comparantes. »

Cette nouvelle décision, pourtant favorable aux victimes, n’a pas fait avancer le remboursement d’un pouce. « Alors que Luc Mazet indiquait dans le cadre de la procédure détenir un patrimoine de plusieurs millions d’euros, alerte Me Loris Palumbo, aujourd’hui, quand les huissiers tapent à sa porte, il n’aurait plus rien ». De même,précise Me Hélène Feron-Poloni, « nous avons pris des inscriptions d’hypothèques [acte qui permet de rendre l’hypothèque opposable aux tiers et de la faire figurer sur le titre de propriété du bien immobilier, NDLR] sur les biens de Luc Mazet, mais nous n’arriverons pas à nous faire payer car il est déjà endetté. » En réaction, Me Loris Palumbo craignant « une potentielle organisation d’insolvabilité » a saisi, pour le compte de parties civiles, Madame le Procureur de la République de Paris afin que « toute la lumière soit faite sur cette situation. » Par ailleurs, l’avocat dit ne rien
attendre de la liquidation judiciaire d’Artecosa, qui est toujours en cours : « il ne faut pas espérer obtenir grand-chose de cette liquidation… il n’y a pas suffisamment d’actifs. »

Enfin, la revente – quand elle est possible – des pièces concernées sur le marché des manuscrits est loin de pouvoir compenser les pertes. Parmi les plaignants qu’elle représente, Me Hélène Feron-Poloni témoigne de certains « qui ont revendu tout récemment, lors d’une vente aux enchères en province, 3.180 euros des oeuvres qu’il avait acquises à 30.000 euros. » Soit quelque 10 % de la mise de départ. On est donc très loin de la promesse initiale d’Artecosa, celle d’un rachat automatique des oeuvres au bout de cinq ans avec le paiement d’intérêts attractifs !

Les difficultés rencontrées par les victimes d’Artecosa démontrent un fois encore à quel point il est compliqué d’obtenir une indemnisation, même lorsque les décisions de justice sont rendues en leur faveur. Les épargnants doivent se montrer très vigilants et se méfier des trop belles promesses de rendement.