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Quand le temps court de la production d’une oeuvre originale rencontre le temps lent du confinement

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Karine Riahi 5min Publications Télécharger l'article

Que se passe-t-il quand le temps court du tournage d’un film rencontre le temps lent du confinement ? Cette interrogation résume la perplexité des acteurs de l’industrie du divertissement (« entertainment ») face à la pandémie du Covid 19, aux conséquences de cette pandémie et par conséquent à l’obligation de confinement qui frappe le monde.

Particulièrement, le temps de la production des films n’est pas celui qu’impose la lutte contre le Covid-19. Le temps du cinéma est celui du moment présent. Le producteur doit coordonner sur la période courte, qui est celle du tournage, les disponibilités des décors – quand un film se passe en été, il faut tourner en été, la disponibilité des comédiens, la disponibilité des techniciens chefs de postes. Le producteur devra ensuite gérer le temps de la sortie du film, choisir et bloquer le meilleur moment pour que le film rencontre son public.

C’est une succession de décisions qui doivent se coordonner et cette coordination ne tolère aucun arrêt du processus sous peine de mettre en péril la production, et donc la livraison du film. L’épidémie de Covid-19 s’est déclenchée dès les mois de novembre/décembre 2019, en Chine du sud à Wuhan. Le 22 janvier, la province du Hubei est mise en quarantaine entrainant un confinement rigoureux de la population. Le 13 mars 2020, l’OMS déclare qu’il s’agit d’une pandémie. En France, le 16 mars 2020, le président Macron annonce le confinement de la population. Peu de personnes peuvent exercer leur profession autrement qu’en télétravail. Le confinement touche aujourd’hui la majorité des pays.

Cette obligation de confinement a entrainé l’annulation d’événements majeurs de l’industrie cinématographiques (report des sorties des films tels que le dernier James Bond, Miss, La Daronne etc…), de l’industrie audiovisuelle (report des tournages de séries emblématiques : Fargo, Greys Anatomy, NCIS, Grace & Frankie, Demain peut attendre etc..), la fermeture des salles de spectacles, et les reports de rencontres professionnelles et artistiques tel que le Festival International du Film à Cannes, et sportives (annulation ou report de la Ligue des Champions de l’UEFA 2019- 2020, la saison NBA 2019-2020 et peut être les JO de Tokyo cet été.

La particularité de ce secteur du divertissement est que les produits créés, que ce soit un film, une série, une compétition sportive ou un évènement culturel, sont complètement liés à une interaction humaine (il faut du monde pour les produire), à la présence de talents, qui ne sont ni interchangeables ni remplaçables, et à l’existence d’un public. Ainsi, un tournage de film mobilise des équipes pléthoriques de techniciens. Ils doivent tous se trouver au même endroit en même temps, et se côtoyer de près. Il en est de même des compétitions sportives.

Aussi, la rencontre avec le public garantit la viabilité économique de ce secteur de l’industrie.

Ajoutons à cela qu’aucun film ne serait produit sans le souci de son succès en salle, qui conditionnera ensuite, pour certains films non préfinancés par une chaîne de TV, son achat par un diffuseur.

Quant aux plateformes de SVOD (Netflix, Amazon), l’absence de films et séries originaux, qui sont leurs produits d’appel, les rendra moins attrayantes par rapport à d’autres qui disposent d’un immense catalogue de grande qualité (Disney+).

Forcément, l’absence de public impacte les évènements sportifs. Si d’aucuns ont pu imaginer que de grands matchs pourraient se jouer à huis clos (cf. PSG vs Dortmund), les organisateurs n’ont pas pu résister à laisser le public des supporters se réunir hors du stade.

Les pertes enregistrées par les théâtres, par les salles de cinéma fermées pour cause de confinement sont abyssales. Ce ne sont pas les initiatives originales, telles que celle du Théâtre de la colline qui propose de jouer ses pièces au téléphone, qui pourront compenser le manque à gagner.

Jusqu’à ce que l’on ait trouvé d’autres modèles économiques non liés à la présence des hommes pour créer l’œuvre, et ne nécessitant pas la rencontre avec le public, l’heure est aux comptes des pertes financières.

Rappelons ici que ce qui caractérise également ce secteur du divertissement, et tout particulièrement celui de la production de films et de séries, est la construction d’un échafaudage contractuel, lourd, sophistiqué et cohérent, partant du moment de la conception d’une œuvre, en passant par son financement jusqu’à son exploitation.

A l’exception des contrats d’acquisition des droits qui ne sont pas concernés car au moment de la signature de ces contrats, la dimension publique n’existe pas encore, les autres contrats se conçoivent dans ce seul objectif d’atteindre un public, pour lui proposer une œuvre susceptible de lui plaire.

(i) Les contrats avec les talents : le producteur devra contracter avec les talents (réalisateur, comédiens) dont le producteur espère que leur notoriété attirera le public. La perte de leur disponibilité en cours de production interdira son bon déroulement.

Dans le domaine du sport, l’absence d’un grand joueur pour cause de blessure impactera forcément l’attractivité de la compétition.

(ii) Les contrats de l’exploitation : qu’il s’agisse de compétition sportives, d’exploitation d’un film en salle, ou de représentation de spectacles vivants, ces contrats permettent aux financiers la récupération de leurs investissements.

Dans le contexte exposé ci-dessus, les divers acteurs de ce secteur du divertissement disposent-ils des moyens juridiques pour préserver leurs engagements économiques ? En d’autres termes, les contrats leurs offrent ils la souplesse d’une résiliation possible, le temps d’imaginer les solutions de rechange : report de tournage, report de sortie de film etc…

Précédemment, Julien Brunet vous exposait la notion de force majeure (Réf), et son applicabilité à la pandémie qui touche le secteur du divertissement. Il en a conclu au regard de la jurisprudence très stricte en la matière, que cette notion ne serait pas d’une totale efficacité.

D’ailleurs, que peut-il rester de la notion d’imprévisibilité à l’ère des algorithmes et de la modélisation mathématique érigée en dogme ?

En d’autres termes, il ne sera pas suffisant pour les divers protagonistes de ce secteur de ne s’abriter que derrière la clause de force majeure. Il leur reste à imaginer les clauses contractuelles qui leur permettront de préserver leurs intérêts et de redevenir maîtres du temps signifiant la possibilité de mettre fin à un accord lorsque les conditions qui y ont présidé n’existent plus.

Pour analyser d’abord les contrats commerciaux signés par le producteur avec ses divers partenaires : coproducteurs, distributeurs, diffuseurs, prestataires de services, ceux-ci relèvent des dispositions du code civil.

Nous partons du principe que dans le secteur de l’industrie du divertissement, chaque projet est créé et exploité pendant un laps de temps serré, la grande majorité des contrats sont alors des contrats à durée déterminée définis par l’article 1212 du Code civil qui dispose que « lorsque le contrat est conclu pour une durée déterminée, chaque partie doit l’exécuter jusqu’à son terme. ». Toutefois, les contractants disposent des outils pour organiser le devenir des contrats déjà signés et leur adaptabilité aux circonstances tel que l’article 1224 du code civil qui prévoit la résolution par application d’une clause résolutoire insérée au contrat : « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire… ».

Ainsi, dans l’hypothèse d’un confinement suite à une pandémie ou toute autre catastrophe ou circonstances graves empêchant la production et la livraison du film, une manifestation sportive ou spectacle de se réaliser, la seule manière de rompre le contrat avant son terme sera d’y insérer une clause de résiliation anticipée prévoyant le plus précisément possibles les causes et les conséquences de la rupture. Le contrat faisant la loi des parties ce sera cette « feuille de route » que les parties devront appliquer à la lettre.

Les parties pourront également opter pour une solution intermédiaire temporaire telle que la suspension du contrat jusqu’à la fin de l’évènement paralysant son exécution et ses conséquences, là encore la rédaction d’une telle clause devra être très précise.

Cette liberté contractuelle n’existe pas dans le cas des contrats signés avec les talents (réalisateur, comédiens, chef de poste de forte notoriété).

Les contrats avec ces talents, qui sont des contrats de travail à durée déterminée d’usage (CDDU), relevant du droit de travail, sont signés le plus tôt possible dans le processus de production. La présence des talents est réservée à des dates précises et arrêtées. Même si l’intérêt de chaque partie serait de prévoir une résiliation anticipée des contrats, les règles du droit du travail en interdisent la rupture ou la suspension pour un motif de circonstances graves empêchant la poursuite de la production.

Le producteur n’aura alors d’autre choix que de s’appuyer sur la notion de force majeure et aux dispositions des conventions collectives qui s’y réfèrent.

Il reste alors aux producteurs et aux organisateurs de spectacles de se tourner vers les polices d’assurance couvrant (ou non) ces risques opérationnels. Ainsi, les polices de la production des films assurent contre les sinistres subis par les talents (décès, incapacité physique, deuils familiaux) les grèves, les destructions de matériels, l’indisponibilité des lieux de tournage, les attentats, les actes de terrorisme, le sabotage….

On remarquera avec d’intérêt, dans les circonstances actuelles, l’assurance du risque constitué par « l’indisponibilité des lieux et locaux où doivent se dérouler les prises de vues du fait de décision administratives ou réquisition décidées par les autorités publiques, administratives et militaires », mais seulement pendant 3 jours.

Il est fort à parier que ces listes de risques empêchant ou ralentissant le cours rapide du tournage d’un film, seront bientôt enrichies de l’éventualité d’un confinement.

En conclusion, les outils juridiques existent, il faut les mettre à la disposition de l’imagination contractuelle qui doit présider à toute rédaction de contrat.

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