Skip links

Publications

Article publié dans “Ecran total” du 12 avril 2023 sur “Mais en fait, je suis assuré(e) pour ça”

Partager

Julien Brunet 6min Publications Télécharger l'article

Les industries créatives, et en particulier la production cinématographique et audiovisuelle, doivent faire face à une multitude de risques, toujours plus sophistiqués, et ce à tous niveaux de la chaîne de création : du développement d’un projet à sa fabrication jusqu’à son exploitation.

Ces industries n’échappent donc pas à la nécessité d’une protection financière et juridique contre les risques qu’elles suscitent. Leurs grands artisans, qu’il s’agisse des producteurs ou encore des distributeurs, doivent alors recourir à des professionnels des assurances, le plus souvent par l’intermédiaire de courtiers, qui vont leur proposer une couverture sur mesure en fonction du risque identifié. Les incidents de production, comme l’accident de tournage ou encore les intempéries qui détériorent un décor, mais également les retards de livraison pris font l’objet d’une couverture encadrée par une police connue de tous les professionnels du secteur. Ces derniers ne sont pas l’objet du présent article. Nous allons nous concentrer sur la couverture de risques d’une autre nature, bien réels, relatifs à la chaîne de droits lorsque les oeuvres sont achevées et prêtes pour une exploitation par territoire. Il s’agit de l’assurance erreurs & omissions plus communément appelée « E&O ».

L’E&O c’est quoi ?

Imaginez les conséquences financières pour votre société, si une personne apparaissant dans une de vos productions vous poursuit pour diffamation ou atteinte à la vie privée, si une personne dont le nom a été mentionné dans une de vos oeuvres vous accuse de lui avoir causé un préjudice moral, si un scénariste prétend que vous avez volé son idée et vous poursuit pour atteinte au droit d’auteur ou plagiat, ou encore si un éditeur intente une action en contrefaçon pour avoir utilisé un titre protégé par le droit des marques. Même si vous n’avez pas anticipé ces risques et que votre société estime être dans son bon droit, les honoraires d’avocat ainsi que les coûts liés au règlement de ce genre de litige peuvent être très élevés. C’est ici qu’intervient l’assurance E&O qui est une assurance de responsabilité civile professionnelle offrant une protection aux entreprises cinématographiques et audiovisuelles contre les réclamations pour des erreurs ou des omissions commises dans leur travail. Cette assurance couvre les frais juridiques, les dommages et intérêts et autres dépenses liées à la défense contre des réclamations pour diffamation, violation de la vie privée, violation de droits d’auteur, de marques de commerce ou de droits à l’image. Aussi, les producteurs de films, les studios, ou encore les distributeurs sont tous des acteurs pouvant bénéficier de l›assurance E&O. La plupart des litiges liés à la chaîne de droits ne sont pas rendus publics, puisqu’ils sont normalement réglés par voie transactionnelle en dehors des tribunaux. Même si l’assuré parvient à transiger, l’affaire risque de lui coûter cher en frais d’avocat. Et même si un accord est conclu, le producteur se retrouve normalement à payer. A titre d’exemple, il y a quelques années, une action a été intentée contre DREAMWORKS par l’auteure d’un roman portant sur les mêmes événements que ceux dépeints dans le film « AMISTAD » de Steven SPIELBERG. L’auteure a prétendu que son droit d’auteur avait été enfreint, puisque le film racontait l’histoire d’une manière semblable à son livre. L’affaire a finalement été transigée et les frais de transaction ont été couverts par une assurance E&O.

Pourquoi avoir recours à une E&O ?

L’obtention d’une telle assurance procède le plus souvent d’une exigence des partenaires financiers du producteur (investisseurs institutionnels et privés, diffuseurs et distributeurs mentionnés dans le plan de financement d’une oeuvre). En effet, la plupart des distributeurs exigent, en vertu de leurs contrats respectifs, que le producteur dispose d’une assurance erreurs et omissions en place. Ainsi, le financement d’une production est souvent conditionné à l’obtention d’une assurance E&O, les fonds ne devenant accessibles qu’après l’entrée en vigueur de cette couverture. En d’autres termes, il appartient au producteur d’établir une chaîne claire de droits sur les diverses composantes de la production et ainsi démontrer à l’assureur qu’il a pris tous les moyens nécessaires pour assurer à la production une libre et paisible exploitation. Cet exercice est en général confié à l’avocat du producteur et circonscrit aux étapes suivantes : (i) examen du scénario, (ii) identification des oeuvres, prestations et autres éléments concourant ou devant concourir à l’expression de la production, (iii) définition de la nature et de l’étendue des droits à libérer pour l’utilisation de ce contenu, et (iv) examen des ententes ou arrangements souscrits par le producteur aux fins de cette libération.

Documents nécessaires à l’obtention d’une E&O

Les primes d’assurance E&O varient d’une production à l’autre. Chaque projet est unique et nécessite une assurance E&O sur mesure. Un formulaire sera alors adressé au producteur pour qu’il puisse y retranscrire ses besoins en termes de risques à couvrir. Cela nécessite donc que le producteur consulte ses contrats de financement afin de vérifier si la couverture doit être en place avant le premier jour de tournage, ou si celle-ci devrait prendre effet après le montage final. La procédure est généralement la suivante : (i) un formulaire de demande est rempli par le producteur, (ii) un avocat se charge d’effectuer toutes les vérifications nécessaires puis (iii) un courtier se charge pour le producteur de transmettre sa demande aux assureurs le jour même pour ensuite amorcer la négociation de la prime, (iv) les assureurs faisant alors approuver la demande par leur avocat et recommandant la couverture appropriée, (v) la demande enfin approuvée, le courtier peut conclure le contrat d’assurance au nom du producteur. Aussi, en premier, le producteur commande un rapport d’examen du scénario qui est produit à des fins d’assurance. L’examen d’un scénario consiste à relire et à analyser le texte afin de repérer tous les éléments qui pourraient présenter un risque sur le plan légal. Ce rapport peut être confié à un avocat spécialisé ou à un consultant spécialisé qui examineront les noms des personnages, les enseignes commerciales citées, les logos et marques, les slogans et citations, les images et éléments graphiques, les photos et oeuvres d’art, les extraits de films, les personnes identifiables, les dialogues, la musique, les propos diffamatoires ou racistes ou encore l’utilisation de contenu protégé par le droit d’auteur. L’avocat de la production passera en revue le rapport et déterminera si les détails soulevés posent des problèmes juridiques. Le rapport sera également remis au réalisateur et aux membres de l’équipe de production chargés de créer les décors, les costumes, les accessoires et autres éléments du scénario. Enfin, si une protection est requise pour couvrir le titre, le producteur devra faire réaliser une recherche de titre par une société spécialisée qui a recours à un logiciel de recherche spécifique, puis envoyer le rapport de recherche à l’assureur à des fins d’approbation finale. Ce rapport de recherche met en évidence toutes les similarités entre votre titre et les marques enregistrées, noms de domaine, enseignes dans le commerce ou copyrights enregistrés dans les pays de Common Law où ces enregistrements sont obligatoires, ce qui n’est pas le cas de la France.

A quel moment entamer le processus d’examen ?

Il est généralement conseillé d’obtenir un rapport d’examen du scénario dès la phase de préproduction, soit avant de commencer le tournage, et ce pour éviter d’avoir à modifier a posteriori des séquences déjà réalisées en cas de difficulté avec la chaîne de droits. Il est important de surveiller tous les stades de la production, de la rédaction du scénario au montage final, en demandant un avis juridique lorsque nécessaire, afin d’éliminer tout contenu potentiellement problématique. Le scénario doit alors être examiné attentivement avant le début du tournage, afin de couper tout élément susceptible d’être perçu comme une atteinte à la réputation ou à la vie privée, ou passible de poursuites. Si le scénario est un texte original qui n’a pas encore été publié, il faut effectuer une recherche sur l’origine de l’oeuvre, notamment sur l’idée de base, la séquence des événements et les personnages. Une vérification doit être faite pour déterminer si vous avez déjà reçu d’autres propositions de scénarios présentant des similitudes avec votre projet. Si c’est le cas, vous devrez expliquer en détail les raisons pour lesquelles l’auteur du scénario similaire ne pourra pas vous poursuivre. En outre, il est d’usage qu’un distributeur, avant de choisir un projet, souhaite s’assurer au préalable que la chaîne de droits est pérenne. Le distributeur voudra probablement avoir la certitude que la production ne présente aucun contenu qui pourrait enfreindre le droit d’auteur, être considéré comme diffamatoire ou poser des problèmes juridiques allant jusqu’à la poursuite. Il est certain que plus le producteur attendra avant de vérifier sa chaîne de droits, et plus il prendre le risque de s’exposer à des coûts importants puisque toute régularisation d’une difficulté rencontrée sera plus difficile à obtenir – et donc plus coûteux – une fois la production avancée, voire finalisée.

Les réflexes à avoir pour anticiper les risques couverts par l’E&O

En réalité, la situation se produit bien plus souvent qu’on ne le pense : le producteur termine son film, finalise le montage, trouve un distributeur, puis il procède à la vérification – clearance – de la chaine de droits de sa production, en vue notamment d’obtenir une assurance E&O. Si un film présente du contenu susceptible d’enfreindre le droit d’auteur d’un tiers, et que ce dernier n’a pas autorisé l’utilisation dudit contenu, quelques options s’offrent alors au producteur. Tout d’abord, le producteur pourrait choisir de couper tout contenu problématique au montage. Il faut toutefois garder à l’esprit que cette solution n’est possible que si le temps, le budget de production, la créativité des réalisateurs le permettent et si la version définitive de l’oeuvre n’est pas établie auquel cas toute modification de l’oeuvre terminée est une atteinte au droit moral de l’auteur. Une autre option consiste à déterminer si une exception s’applique au contenu protégé utilisé dans le film. Voici quelques conseils simples pour éviter les réclamations d’assurance erreurs et omissions dans le cadre d’une production. Cette liste ne se veut pas exhaustive, mais elle constitue une référence bien pratique : (i) évitez l’utilisation de noms de vraies personnes ou pseudonymes connus du grand public, (ii) exposez dans votre scénario et dans votre récit les seuls faits révélés au grand public dans le cadre de récits biographiques, (iii) ne gardez aucun détail qui permettrait d’identifier une personne, comme son emploi ou son rôle dans un incident réel, et ce, même si vous utilisez un nom fictif, (iv) n’utilisez pas de vraies adresses, (v) n’utilisez pas de vrais numéros de téléphone, de carte de crédit, d’assurance sociale, etc., (vi) obtenez les permissions nécessaires avant d’utiliser toute marque de commerce ou tout logo, (vii) évitez de mentionner des noms d’entreprises ou de produits et d’utiliser des accessoires identifiables protégés (p. ex., des photos, des tableaux, des affiches, des sculptures, des revues), à moins d’en avoir obtenu la permission du détenteur des droits d’auteur.

****

Article publié par Écran Total : https://ecran-total.fr/2023/04/13/chronique-juridique-mais-en-fait-je-suis-assuree-pour-ca/